Timbuktu, la liberté en danger de mort

Le film d'Abderrahmane Sissako s'ouvre et se ferme sur une scène de fuite.

D'abord celle d'une gazelle pourchassée par des hommes dont nous ne savons encore rien qui cherchent à "épuiser" au sens propre du terme l'animal plutôt que de le tuer.

Enfin celle de Toya et de ce mystérieux porteur d'eau, pourchassés par ces mêmes hommes dont nous connaissons maintenant la folie qui serait presque drôle par son absurdité si nous n'en savions la capacité meurtrière, dans ces sables africains comme dans nos rues.

Force politique de ce film qui au-delà de sa beauté formelle nous fait prendre conscience de la réalité, réalisant ainsi un projet de résistance à cet intégrisme d'autant plus destructeur qu'il se coule dans les codes culturels des sociétés qu'il "épuise". S'il paraît pessimiste en nous faisant penser qu'il n'y a finalement pas d'autre espoir que la fuite, le film nous alerte et nous informe, peut-être pour nous faire comprendre que la fuite est justement ce qui est recherché par ces experts de la terreur.

La base du film est un fait divers, qui pourrait être banal: le touareg Kidane tue accidentellement le pécheur songhai qui a lui-même tué sa vache. Kidane est arrêté, jugé et condamné à payer le prix du sang. Ne pouvant y subvenir, la famille du pécheur lui refuse le pardon et il est condamné à mort. Le fait que les djihadistes arabes tiennent le tribunal ne change rien à l'affaire. Kidane aurait de toute façon été condamné à mort. Ce qui se joue là est de l'ordre de la confrontation singulière entre deux destins, entre deux cultures, celle des touaregs et celle des songhais, entre les nomades éleveurs et les sédentaires cultivateurs (le pécheur cultive ses filets à la merci du troupeau).

Sur cette base du droit coutumier, Abderrahmane Sissako montre la vie quotidienne, sa lente transformation sous la férule des djihadistes qui veillent sur la longueur des pantalons des hommes, la peau des femmes, chaque chant est un blasphème et chaque tradition une idolâtrie. Les femmes peuvent être prises en récompense pour les "bons éléments" et l'imam de la ville aura beau protester contre ces abus de pouvoir, rappeler que le djihad est intérieur, ces hommes que l'on ne voit jamais prier prétendent avoir le droit islamique pour eux.

Chaque situation du film souligne sur un mode mineur la prétention totalitaire de ces hommes qui s'érigent en seuls juges de ce qui est licite ou ne l'est pas, de ce qui est moral ou non, de ce qui est de l'ordre du blasphème ou pas.

Chaque résistance est petit à petit brisée, la jeune fille sera mariée, les amants seront lapidés, les masques seront brisés, les chanteurs seront fouettés, seule subsiste cette femme bariolée, symbole de la folie, planant sur ce monde ou symbole de la liberté qu'on ne peut vaincre ?

Terrible avertissement pour nos sociétés qui parfois se révèlent prêtes à entendre et accepter les interdictions de blasphèmes proférées par ces partisans d'une certaine idée de Dieu. Si l'on accepte de leur donner prise, ils ne s'arrêteront pas. Leur stratégie, en Europe comme aux confins du Sahara, relève de la guerre des partisans, "épuiser" nos capacités de résistance, nous faire éprouver la peur, la défiance entre nous et pervertir notre culture en l'utilisant pour nous affaiblir. De coups de publicité en attentats, de vidéos de propagandes en interdits au nom de la foi s'affirme l'épuisement des principes d'autonomie de la raison, de liberté de conscience et d'action.

Plus que la seule liberté d'expression, les terroristes menacent toutes nos libertés individuelles et collectives. Voilà bien pourquoi il ne faut leur céder en rien.

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