Dans la Maison ou lorsque la copie est meilleure que l'original

Dans la Maison de François Ozon


« Esther: tu as toujours dit que tu étais fait pour le travail d'équipe.

Rapha père. - D'équipe oui, mais dans une équipe, il y a ceux qui passent le ballon et ceux qui mettent au panier. J'ai passé trop de matchs à mouiller ma chemise pour que ce soit toujours les autres qui marquent. En parlant avec Jeannot (le Chinois) des opportunités qu'il y a là-bas....
(…)
on envoie par mail les plans de la pièce à Jeannot, en précisant bien la date de livraison, et lui, il s'exécute. C'est comme avoir une usine sans ouvriers. Mieux même, on lui envoie une photo et eux, ils copient. Pas une copie exacte, ce serait illégal, juste avec des petites modifications. »

Juan Mayorga, Le Garçon du dernier rang, trad. De Dominique Poulange et Jorge Lavelli, Les Solitaires intempestifs, Besançon 2009, pp. 36-37

Ce passage de la pièce ayant inspiré François Ozon pour son dernier film Dans la Maison pose l'enjeu du film comme de la pièce. Le film a beaucoup été présenté comme une démonstration de manipulation dans laquelle l'on ne saurait plus qui manipule qui, entre Claude, l'élève qui s'immisce dans la famille de son ami « Rapha » et Germain, professeur de français désabusé. Pourtant, à bien y regarder, il s'agit plutôt que de manipulation d'une sorte de tentative de ressembler à quelque chose d'autre, à ce que l'on n'est pas, n'a pas pu être ou ne pourra pas être. Être une copie, d'un auteur, d'une famille de classe moyenne, d'une galeriste d'art mais «  Pas une copie exacte, ce serait illégal, juste avec des petites modifications ». Et tout le propos du film se situe dans ces petites modifications.



Qu'est ce qui fait que Germain est la copie d'un professeur ? Non pas un enseignant mais une sorte de vigile surveillant les acquis de ses élèves. Quelle vacuité dans son sujet de rentrée: « racontez vos vacances », véritable sujet de rédaction pour classes élémentaires. Dans l'esprit de Germain, l'élève doit déjà savoir et il ne comprend son rôle que dans la mise en forme de ce savoir qui lui est antérieur. Voilà bien d'ailleurs pourquoi il humilie avec autant de brio, l'élève Rapha.

Qu'est ce qui fait que Jeanne, sa femme, n'est qu'une copie d'une galeriste ? Toute préoccupée qu'elle est du succès de son prochain vernissage, elle vendrait de la M.... en boite si cela pouvait sauver son job et personne n'ose lui dire que ce qu'elle vend n'a aucun intérêt. Et Rapha père, en quoi est-il la copie d'un entrepreneur ? Parce qu'il ne sait pas faire confiance et ne sait pas prendre de décisions. Ce n'est que devant son fils qu'il a la maîtrise du jeu. Esther, sa femme, est la pâle copie d'une décoratrice d'intérieur, passant sa vie à lire des revues de décorations mais ne sachant même pas qui est ce Klee dont les reproductions ornent son couloir. Rapha fils est assez fier d'être la copie (presque) conforme de son père, parfait substitut de la jalousie de ce dernier lorsque Esther fera mine de céder au désir de Claude.

Claude, enfin, la copie presque parfaite d'un bon élève et d'un bon auteur. Copie seulement parce qu'il n'a aucune imagination. Il ne peut écrire qu'à partir de ce qu'il a vu et éventuellement ajouter ou retrancher quelque chose sur les conseils de son Pygmalion d'opérette, Germain qui voit en lui la copie du fils qu'il aura voulu être alors que Claude prendra en fait sa place dans son lit avec Jeanne. Et encore ce dernier fait n'est pas sûr puisque d'autres choix narratifs pourraient être légitimes.

François Ozon nous promène avec brio dans une histoire de mensonge plutôt que de manipulation. Nulle marionnette ici mais un jeu constant de ressemblances et divergences où les paires se ressemblent plus qu'elles ne le croient. Jeanne/Esther – Germain/Rapha père – Rapha père/Rapha fils – Germain/Claude – Claude/Rapha fils alors que Claude se rêve auteur à la place de Germain et amant d'Esther à la place de Rapha. Claude ne sera ni l'un ni l'autre et ne sera pas là où on l'attendait ni même là où il voulait aller.

Un film sur la désillusion de croire que la vie est faite de volonté et d'esprit d'équipe. Chacun y est seul avec son image de ce qu'il voudrait ou regrette d'être, avec les circonstances qui ont fait de lui ce qu'il est. Et le spectateur lui aussi se trompe lorsqu'il croît qu'il y a manipulation puisque cela supposerait une volonté, maligne sans doute mais en tout cas consciente. Or aucun des personnages du film ne sait ce qu'il fait ni pourquoi il le fait. Happés par les circonstances, sans prises sur elles, ils s'en vont au fil de l'eau et terminent leur histoire sur un banc de clinique à imaginer de nouvelles vies par procurations, de nouvelles copies avec juste avec des petites modifications.

Pour le groupe Pro-Fil de Mulhouse,
Roland Kauffmann



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